Thursday, March 14, 2019

Le Père Goriot by Honoré de Balzac


Le Père Goriot 
by Honoré de Balzac  



L’effet de réel et l’intrusion du narrateur

Balzac est le maître de la description, il est capable de décrire les détails les plus précis d’une personne ou d’un lieu au point de le voir. Dans l’incipit du Père Goriot Balzac a préféré mettre le lecteur en garde en renforçant l’effet de réel : « Ainsi feriez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche. Vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : Peut-être ceci va-t-il m’amuser. Après avoir lu les secrètes infortunes du père Goriot ; vous dinerez avec appétit en mettant votre insensibilité sur le compte de l’auteur, en le taxant d’exagération, en l’accusant de poésie. Ah ! Sachez-le : ce drame n’est ni une fiction, ni un roman. All is true, il est si véritable, que chacun peut-en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. » (p.12) Le lecteur réel que nous sommes, doit passer par l’identification au père Goriot en vivant pleinement l’ensemble des événements lus. Pourtant, il ne doit nullement oublier qu’il est un lecteur en chair et non un personnage de papiers. De là, il faut qu’il prenne du recul pour analyser l’ensemble des relations complexes qui gèrent le roman afin de réécrire sa propre version des faits. En effet, réécrire ce que ce père a dû faire pour prendre sa vie en main et pour éviter sa fin tragique.
L’intrusion de l’auteur au sein de l’incipit de l’œuvre montre son souci de classer son texte dans le cadre des genres réalistes. Juste après, il commence à préciser la maison, le lieu, les personnages ainsi que les dates quand cela est nécessaire. Ces précisions servent l’effet de réel et donnent à l’histoire un aspect vraisemblable.

La fonction présentative de l’incipit

 L’incipit balzacien joue une fonction présentative, puisqu’il nous précise lieu et personnages avec leurs moindres vicissitudes et leurs particularités en donnant au cadre historique son poids et sa place. Cet incipit met en valeur la pension Vauquer ou la pension bourgeoise : Maison-Vauquer, Pension bourgeoise des deux sexes et autres, car cet espace sera la scène sur laquelle les événements les plus importants vont se dérouler. Balzac présente les actants essentiels et nécessaires à la dramatisation de son récit. Chaque détail est intéressant et aucune explication n’est gratuite.

Les particularités du personnage balzacien

   Le père Goriot

Un personnage bizarre, riche qui passe son temps dans une pension ridicule et qui vit dans une parcimonie terrible. Un homme mystérieux qui suscite l’intérêt des autres puisqu’il fait l’objet préféré de leur discussion. Pour Vautrin : « Le père Goriot carottait sur les rentes après s’y être ruiné. » (p.29) Le père Goriot est très avare, mais il payait sa pension. « Chacun essayait sur lui sa bonne ou mauvaise humeur par les plaisanteries ou par des bourrades. » (p.29) Un vieux qui reçoit des visites désorganisées de la part de deux jolies dames jeunes et belles dont tout le monde parle, mais qui ne cesse de répéter qu’il s’agit de ses filles : « Les pensionnaires, occupés à causer dans le salon, purent voir en elle une jolie blonde, mince de taille, gracieuse, et beaucoup trop distinguée pour être la fille d’un père Goriot. » (p.30)
Le père Goriot est un misérable qui vit dans des conditions difficiles, dans une solitude mélancolique en supportant toutes les plaisanteries des pensionnaires et tous les sacrifices pour les yeux de ses deux filles. Un personnage porteur de signes. Un personnage qui présente une situation sociale confuse qui le met en question. Comme tous les personnages balzaciens, le père Goriot incarne une situation complexe d’un père négligé par ses filles, qui vit seul dans une pension tout en pensant à elles et à leur confort. Aussi belles et riches que les pensionnaires ont du mal à croire qu’il s’agit vraiment de ses filles. Le lecteur est aussi étonné que les autres. Il est du même avis que les pensionnaires. Il ne peut croire aux dires d’un vieux seul qui attend la visite des femmes belles et jeunes et qui les fait passer pour ses filles.
Seuls les événements qui viendront par la suite peuvent nous révéler la vérité de ces comportements. Le père Goriot trace le portrait tragique d’un vieux délaissé et méconnu, seul face à ses tristesses et ses maux à cause des caprices et des besoins matériels interminables de ses filles. Ces dernières le met dans une situation de malheur au point de provoquer son déclin final.

Le début de l’intrigue et le déclenchement des événements

    Depuis l’incipit de l’œuvre, le père Goriot subit une transformation radicale surtout au niveau physique. Au bout de quelques années, il a changé d’étages ou de chambres au sein de La pension Vauquer trois fois, afin d’économiser son argent. Personne ne savait pourquoi ce monsieur change d’endroits et reçoit en même temps de très belles femmes. Ce qui suscite la curiosité et les interrogations interminables des pensionnaires et des lecteurs réels que nous sommes, dans la mesure où nous nous identifions aux pensionnaires, nous nous mettons à la place du père Goriot et nous donnons libre cours à notre imagination en faisant des hypothèses de lecture parfois incorrectes, mais utiles pour continuer notre lecture et vérifier nos pensées et nos réflexions. L’incipit de l’œuvre incarne déjà cette crise de conscience dont souffre la société française à l’époque. Le cas du père Goriot en est la preuve, une personne abandonnée, seule, surexploitée par ses propres filles, mise en dérision par tout le monde. Des jeunes qui se cherchent dans une grande ville où le pouvoir est donné à l’argent et non à la jeunesse comme Eugène de Rastignac. Une veuve insensée qui vit sur les économies de ses pensionnaires et qui ne peut vivre autrement. …

Les particularités du personnage balzacien

       Rastignac

Eugène de Rastignac, un jeune étudiant qui vient à Paris pour étudier. Fasciné par Paris, il décide d’entrer dans le monde en entrant dans des projets qui croyait utiles pour faire carrière à Paris ou pour réussir. Eugène écrit à sa mère pour lui demander de l’argent. Toute la famille fait de son mieux pour lui envoyer l’argent dont-il a besoin.

Eugène est un jeune qui se trouve face à une ville où les apparences font la règle. Un monde des affaires, des entreprises, des projets…Eugène de Rastignac est l'exemple des jeunes qui veulent à tous prix trouver une place dans un monde des grands. Il a compris qu’il faut avoir de l’argent pour affronter ce monde, pour pouvoir le pénétrer. Les jeunes à l’époque souffraient énormément et doivent désormais travailler, étudier, chercher à faire carrière, car seuls les riches qui peuvent avoir toutes les chances de réussite. Rastignac est l’un des pauvres qui veulent réussir leurs projets dans le monde des grands. Pour lui Paris est un défi et non un simple endroit où il vient faire ses études. Pour commencer la réalisation de ses rêves il envoie des lettres à ses proches pour ramasser les fonds nécessaires à son entreprise.

Les lettres reçues par Eugène de Rastignac montrent cette capacité de Balzac, de changer de styles et de présenter les soucis d’une mère ou d’une sœur. Cette insertion des lettres dans un récit nous informe sur l’état d’âme des personnages, leurs sentiments, leurs secrets, leurs projets, leurs craintes, leurs rêves et leurs espérances, leurs situations sociale et économique...Les lettres donnent également au récit cet effet de réel, cette vie active qui nous pousse, nous lecteurs réels à croire à cette histoire et sa validité : « Ta lettre est venue bien à propos, cher frère. Agate et moi nous voulions employer notre argent de tant de manières différentes, que nous ne savions plus à quel achat nous résoudre. Tu as fait comme le domestique du roi d’Espagne quand il a renversé les montres de son maître, tu nous as mises d’accord. Vraiment, nous étions constamment en querelle pour celui de nos désirs auquel nous donnerions la préférence, et nous n’avions pas deviné, mon bon Eugène, l’emploi qui comprenait tous nos désirs…. » (p.83)

Le discours rapporté donne au récit son aspect réel et lui procure une vérité à part entière et une vraie vivacité. L’échange verbal entre les personnages nous pousse à suivre leur intervention, à imaginer leurs conversations comme si nous faisons partie de leur présence, de leurs idées. Le discours rapporté généralement relaté par présent de narration nous donne aussi cet aspect d’actualiser le récit, qui devient dans un certain sens le nôtre. A vrai dire Balzac emploie ces techniques pour travailler l’aspect réel de son roman et lui donner une vérité, une vie.

« - Vous aurez de quoi payer des leçons d’armes et des séances au tir, lui dit cet homme.

-Les galions sont arrivés, lui dit madame Vauquer en regardant les sacs.

Mademoiselle Michonneau craignait de jeter les yeux sur l’argent, de peur de montrer sa convoitise.

-Vous avez une bonne mère, dit madame Couture.

-Monsieur a une bonne mère, répéta Poiret… » (p.86)

L’évolution des personnages balzaciens

       Eugène de Rastignac

Eugène de Rastignac a voulu avoir une place au sein de la société parisienne. Il a compris qu’il doit chercher un protecteur et soigner sa parure :« Il se permit des singeries enfantines autant qu’en aurait fait une jeune fille en s’habillant pour le bal. Il regarda complaisamment sa taille mince, en déplissant son habit. » (p.117)

Dans ce sens, Rastignac veut jouer le héros dans un monde des grands en passant par des aventures ou des affaires de cœurs pour arriver à pénétrer l’un des clans de la société bourgeoise grâce à une dame riche ou à une maîtresse fortunée. Un jeune étudiant au milieu de nulle part qui vient à Paris pour faire des études et qui les abandonne pour faire fortune ou pour réussir autrement. Eugène de Rastignac veut voir si sa jeunesse va lui servir à quelque chose mais pas à étudier. Ce personnage évolue au cours de l’histoire et nous étonne chaque fois par ses réflexions et son audace. Eugène dîne chez Mme. La baronne de Nucingen : l’une des filles de monsieur Goriot, mais ce dîner se transforme en un jeu d’amour et du hasard où le jeune doit tout perdre ou tout gagner.

En effet, Delphine ou Mme. La baronne de Nucingen est une femme malheureuse dont le mariage était : « La plus horrible des déceptions. » devient la complice d’Eugène. Le mariage pour la, plupart des femmes à l’époque était un luxe de l’extérieur et des soucis cruels dans l’âme.

Cela signifie qu’elles ne sont point heureuses et qu’elles se cherchent souvent dans des relations libertines hors du mariage, afin qu’elles puissent trouver l’amour perdu.

Rastignac entre sans le savoir dans un enjeu d’amour et du hasard où il devait jouer pour faire le bonheur d’une femme si malheureuse parce qu’il avait besoin d’argent. Cette relation qui commence à se nouer entre Rastignac et la fille du Père Goriot nous montre une autre réalité de la société française au XIXème siècle, qui ne se base que sur la trahison, l’adultère et les apparences. Une société qui ne donne aucune importance aux principes et qui vit dans une comédie féerique où les apparences cachent des mystères terribles. Des affaires de cœurs insensées, une envie de s’enrichir de toutes sortes et avec tous les moyens : mariages, vices, adultères, trahison, vol, exploitation, hypocrisie, corruption…Dans ce sens, la société devient un enjeu qu’il faut prendre au sérieux pour réussir. Les nobles ne peuvent plus survivre devant l’invasion économique des bourgeois. Les jeunes deviennent des arrivistes sans principes qui font le bonheur des femmes seules ou délaissées par leur maris. Lorsque l’argent devient le seul souci, les valeurs humaines n’ont plus de places dans une société de leurres et de duperies.

Balzac dénonce implicitement une société qui ne tient plus, une société qui se base sur la corruption et la dépravation. Cela veut dire que Le Père Goriot trace la réalité de la famille française au XIXème siècle afin d’illustrer son statut, ses souffrances et ses préoccupations les plus intimes ainsi que son évolution et ses transformations. Les jeunes devraient se vendre pour vivre. Il fallait qu’ils consolent les veuves ou les femmes délaissées ou désespérées, qu’ils jouent aux dandys pour plaire aux imbéciles, pour satisfaire la curiosité des uns ou le ridicule des autres.

La tragédie du père Goriot

Un père malade qui compte ses derniers jours et qui doit régler les problèmes financiers relatifs à ses deux filles, qui ne viennent le voir que pour demander de l’argent ou lui raconter leurs problèmes d’argent. Jamais l’une de ses filles n’est venue pour le voir ou pour un simple désir de savoir de ses nouvelles.
Le vieux ne supporte plus la situation de voir ses filles malheureuses et ruinées. Il souffre car il les a mariées à des hommes qui les surexploitent et qui continuent à abuser d’elles.
Le père Goriot prend les moindres soucis de ses filles au sérieux et essaye de faire de son mieux pour améliorer leur situation. Un père dévoué qui se tue pour ses enfants. Pourtant ses filles ne respectent pas les particularités de leur père âgé ni sa maladie ; elles ne cessent de se plaindre sans prendre leur responsabilité vis-à-vis de leur père. Comment un père se donne autant de mal pour ses enfants et comment les enfants sont si ingrats.

La dimension tragique de cette situation est due à ce dévouement non partagé, à cette affection paternelle sans limites qui aille jusqu’à l’autodestruction.

Dans Le Père Goriot nous remarquons que la relation père /fille est une relation douteuse qui ne se base pas sur l’affection. Les pensionnaires n’arrivent pas à croire que le père Goriot, ce veiux abandonné seul a des filles si riches et si élégantes. En effet, un vieux qui a des filles devait habiter chez l’une de ses filles au lieu de loger dans une pension. Pourtant, Monsieur Goriot doit payer sa location comme n’importe lequel : un solitaire qui habite une pension tel un orphelin.

Lorsque les filles du père Goriot lui rendaient visite, les pensionnaires croyaient qu’il s’agissait de ses maîtresses. Tout le monde le prenait pour un libertin qui a perdu son argent au jeu et aux plaisirs. En réalité, le pauvre père était un homme honnête et droit qui a donné son argent à ses filles, afin qu’elles vivent heureuses. Toutefois, les filles après leur mariage ne cessaient de demander plus d’argent et de mettre toute la responsabilité sur le dos de leurs maris. Jamais rassasiées, elles demandent encore et encore jusqu’à obliger leur pauvre père à faire autant d’économie et à donner à ses filles l’argent qui pouvait lui venir en aide dans ses derniers jours.

Des filles ingrates, qui adoraient l’argent et ne voyaient en leur père qu’une source inépuisable de livres et d’écus, une mine d’or qui s’ouvre chaque fois pour satisfaire leurs faux besoins. Elles qui sont des femmes du monde et qui ont tout pour vivre heureuses, pour prendre en mains leur situation. De là, la relation père/fille dans Le Père Goriot est une relation froide, matérielle, loin d’illustrer cette chaleur familiale dont on a l’habitude.

Le déclin d’un père

    Le père Goriot fait l’exemple de toute une génération. Un père qui s’est donné pour ses enfants jusqu’à ses derniers moments. Vers la fin de sa vie, de ses sacrifices, de ses souffrances, il s’est trouvé seul dans une pension. Malade, mourant, ses filles ne cessent de gonfler leurs problèmes d’argent, de crier leurs malheur sans penser à ceux de leur père. 

Les pensionnaires ont cru que Monsieur Goriot va mourir entre les bras de ses filles, qu’elles auront un peu de conscience pour venir chercher le corps de ce vieux qui s’est sacrifié pour elles jusqu’à son dernier souffle. Pourtant, ce sont des pauvres étudiants qui habitaient la pension avec Monsieur Goriot qui ont pris la responsabilité de l’enterrer. Les filles se contentaient de jeter quelques larmes, un peu de regret et de se retirer sans se soucier d’un vieux qui faisait tant de soucis pour elles.
La fin tragique du père montre la fin d’une affaire d’intérêts : lorsque l’amour d’un père ne vaut plus rien pour ses propres enfants et lorsque ses derniers deviennent des simples vampires, il n’est plus question de parler une relation familiale ou d’un devoir paternel ou infantile mais d’un drame tel que le drame du Père Goriot que nous pouvons rencontrer facilement dans le visage d’une mère ou d’un père abandonné par ses enfants.







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